mardi 19 avril 2016

Jour 15 – Dimanche 10 avril



A 8h chacun s’extirpe de sa couchette pour partager un dernier repas d’expédition : le dernier fond de muesli qui se terrait au fond du sac de nourriture (désormais vide) est versé dans une gamelle commune et nous n’en faisons que quelques bouchées. Le paysage qui défile à présent a changé. Il n’y a plus de neige et beaucoup plus d’habitations. Des maisons en bois peintes en rouge se succèdent entre deux étendues d’eau. Le train tout entier s’éveille et les voyageurs venus du Nord comme nous sont pris au dépourvu par le soleil qui baigne les rames. Il fait chaud et les chaussettes en laine ainsi que les polaires et les doudounes sont subitement inappropriées. Comme nous n’avons ni tongs ni bikinis, nous devrons subir cette chaleur jusqu’à Paris.

A l’aéroport de Stockholm, à 11h, autour d’une « large » bière (75 cl !), nous partageons nos envies immédiates. Luc rêve d’une entrecôte, Romain veut avoir des nouvelles de sa femme enceinte, Maël planifie son déménagement du lendemain et moi je pense à l’ampleur du chantier qui m’attend pour redevenir une fille.

A l'aéroport de Paris, à 15h45, nous avons la surprise d'être accueillis par ceux qui nous ont tant manqué pendant le séjour. En chair, en os et en carton, ils sont bien là ! Et ils ont les bras chargés de bonnes choses : champagne, mousse au chocolat, madeleines, fraises et croissants. Tant de sucre... nous en rêvions !

Merci !
Et après ? Quel nouveau défi à préparer, quelle aventure à planifier ? Maël parle de La Réunion, Luc du Canada, Romain de la Sibérie. Pour ma part, je rêve de sommets. Parcourir de longues distances et avancer « à plat » est gratifiant en termes de chemin parcouru, mais s’élever vers les cimes reste ma dimension préférée. Alors, il n’y a plus qu’à préparer la suite.

Merci à Gustave, Adeline, Arnaud, Olivier, Lionel et Robin pour le prêt de matériel sans lequel nous n’aurions pas pu partir (duvets, popote, moufle, thermos, balise satellite, goretex, piquets à neige…). Et merci à Anne pour avoir apporté tout le matériel en voiture à l'aéroport le dimanche matin à 7h. Vous assurez les amis !

Jour 14 – Samedi 9 avril



C’est notre dernier jour en Laponie et nous mettons à profit la matinée pour reconditionner les sacs du retour et faire une dernière partie de cartes au coin du feu. Un rocking-chair et un plaid, dans une bibliothèque en bois vue sur le lac, sont les ingrédients d’une bonne relaxation.

Dernière partie de cartes
Dernier bain de soleil
Finalement, dans ce voyage nous n’aurons raté que deux choses : les aurores boréales et l’estimation de notre consommation d’essence. Partis avec 15 litres, nous n’en brûlerons que 7… à raison de deux heures de cuisine par jour tout de même, sans jamais viser l’économie ! A noter également un oubli notable dans notre matériel et qui aurait pu être source d’un grand confort : un entonnoir. Cet accessoire aurait pu améliorer grandement notre rendement dans le remplissage des 8 gourdes et thermos avec la neige fondue de la casserole. Sinon, quasiment tout ce que nous avons transporté nous a servi : du brin de corde jusqu’à la colle extra-forte en passant par les bâtons de secours et les chaufferettes anti-gelures (pour le pied de Luc). Pour la prochaine fois, penser également à prendre 10 boîtes de Compeed supplémentaires…

A 14h nous nous préparons pour notre dernière traversée. Il faut réendosser les vêtements sales pour rejoindre l’autre rive du lac jusqu’à l’arrêt de bus pour Gällivare. Cette fois, nous portons nos sacs, mais, même allégés de la nourriture, ils demeurent lourds. 20 kg chacun annonce la balance du refuge. Nous profitons des derniers instants de glisse sur une surface de plus en plus douteuse. Dans une semaine, la traversée se fera probablement en ski nautique, tellement nous pataugeons à certains endroits. Pour se rassurer, on se dit que tant que les ski-doos passent, nous aussi. Et ça passe. Nous voilà de l’autre côté et le bus est à l’heure. 1h30 pour rejoindre Gällivare puis embarquer dans le train de nuit pour Stockholm à 19h30.

Adieu Salto !
Ils rêvent de lits douillets...
Le train a un petit air rétro Art Déco et le paysage de toundra qui défile à travers la vitre du wagon-bar donne à notre ruée vers le sud une allure de transsibérien. Comme à notre habitude depuis deux semaines, nous nous couchons tôt et à 21h30 le compartiment se met à ronfler.

Wagon-bar

Jour 13 – Vendredi 8 avril



Pour notre dernier réveil, nous nous offrons une grasse matinée et émergeons à 6h45. Nous profitons du petit déjeuner autour d’une table, assis et les pieds au sec. Le poêle rallumé réchauffe la petite pièce et l’usine à eau ronronne dans un coin. Nous nous offrons le luxe d’un rab de céréales.

Aujourd’hui, c’est notre dernière journée sur les traces de la Kungsleden et nous allons boucler notre boucle. Il ne fait toujours pas grand beau, mais le soleil perce les nuages et la lumière irisée du matin s’enroule autour des sommets jusqu’à redescendre, étincelante, sur la Kungsleden. Sous ce voile scintillant surgit un troupeau de rennes sauvages, que nous observons longuement. 

Lumière du matin
Simplement magique
Profitant de mon dos tourné, mes compagnons sournois m’attèlent les deux pulkas. Je capitule au bout de 20 mètres.

Même pas mal !

Ok j'ai beau être une tête de mule, je capitule !
 Avant de quitter le camp, nous passons dire au-revoir aux Finlandais, qui nous montrent fièrement leurs divers trucs et astuces pour monter et démonter un camp efficacement. Nous notons consciencieusement leurs bons conseils, notamment celui de ne défaire les arceaux que sur leur moitié pour les replier au milieu et rouler la tente le long de ces demi-tiges. En deux temps trois mouvements la tente est pliée, alors qu’il nous fallait plutôt quatre temps et quinze mouvements pour la ranger dans notre sac. Les Finlandais, eux, ne prennent même pas la peine de la fourrer dans la housse, ils la roulent et l’harnachent sur une pulka, le dessous sur le dessus. Simple comme hallȯ !

Le camp des Finlandais, dans notre jardin
Cours finnois de roulage de tente
 Nous décollons à 8h45 et prenons notre temps pour faire la route du jour. 6h pour parcourir 10 km, nous pouvons nous octroyer des haltes sur les traces de notre passage, 12 jours auparavant. Nostalgiques, nous faisons une dernière photo de nos carcasses dégraissées devant les portes du Sarek. Celles-ci se referment derrière nous et nous repartons plus au nord, vers Saltoluokta, entre contre-bas, au bord du lac.

La route pour Saltoluokta est tracée

La horde sauvage
Youpi, la boucle est bouclée !
La descente est notre dernier plaisir et nous glissons à pleines spatules vers le confort douillet du refuge. Ce n’est qu’une fois arrivés à la porte que nous prenons la mesure du voyage que nous avons fait. Nous sommes heureux de l’avoir accompli et, je crois, un peu tristes que cela soit terminé. Un voyage qui se termine au coin d’un bon feu, un plaid en laine sur les genoux, après avoir enfin pris une douche chaude et joui d’une heure de sauna avec vue panoramique sur le lac de Saltoluokta (sauf pour le pauvre Maël qui a toujours de la fièvre). Où on découvre que le véritable sauna se pratique bien sûr nus, mais surtout avec un seau d’eau versé sur les braises toutes les 5 minutes. Où certains finissent plus ébouillantés que d’autres. Où on apprécie une bière plus qu’ailleurs. Où le steak de renne prévu au dîner nous fait saliver depuis le goûter. Où l’on apprend (et constate) que la roulade dans la neige après le sauna n’est pas une coutume suédoise, mais finlandaise. Où l’on accueille l’arrivée du printemps avec méfiance et curiosité et où l’on se demande quelle température il fait à Paris. Où l’on pense aux amis, aux compagnons, à la famille. Quand, enfin, on cesse de ne penser qu’à soi et à sa petite équipée pour se rappeler qu’il y a le monde autour.

Le lac du début, on voit clairement qu'on a bien fait de ne pas passer au milieu le premier jour....
Le sauna de l'arrivée
La bière de l'arrivée

En attendant les prochaines aventures, l’heure est à la digestion. Nous venons de vivre l’épreuve physique la plus éprouvante du séjour : ingurgiter tout ce que notre estomac peut supporter en moins de deux heures. Nous rêvions de viande et de légumes, c’est chose faite. Des saladiers entiers de choux, tomates, haricots, champignons se déversent dans nos assiettes et nous nous servons des louches entières de pommes de terre et de céleris. La viande de renne est délicieuse et c’est une avalanche de saveurs inédites pour nos papilles monomaniaques. Les beurres aux herbes et à la truffe, les sauces vinaigrées et les creamcheese s’étalent sur un délicieux pain blanc moelleux. Le tout arrosé d’un vin californien et ponctué par une mousse au chocolat blanc et au café. Nos estomacs s’emballent et crient leur désarrois, mais le cerveau ne l’entend pas de cette oreille et ordonne à la bouche et à l’œsophage d’avaler jusqu’à la dernière groseille du dessert. Nous sommes terrassés et rendons les armes à 20h30. Il faut nous allonger pour que l’estomac puisse maintenant faire son travail. Je vous l’avais bien dit, bougonne-t-il. Et le corps entier de lui répondre : bosse un peu fainéant, c’est ton tour à présent !