mardi 19 avril 2016

Jour 12 – Jeudi 7 avril



Nous ne sommes pas mécontents de quitter ce camp, où la neige trop meuble nous crée de vives déconvenues. La tâche si simple d’aller faire ses besoins devient une angoisse quant on appréhende de se retrouver enseveli jusqu’au nombril à chaque pas… Nous n’avons qu’une seule paire de raquettes et les skis servent de piquets pour la tente, donc chaque escapade en dehors de la tente est une prise de risque non négligeable !

Nous sommes donc heureux de reprendre notre chemin, mais nous ne le resterons pas longtemps car c’est un nouveau jour blanc qui nous attend, cette fois pire que les autres. Nous ne voyons pas à plus de trois piquets sur la Kungsleden et le vent du Nord nous fouette le visage. C’est la dernière ascension du raid, il y a 150 mètres à remonter dans le blizzard, en ne pensant à rien d’autre qu’à mettre une spatule l’une devant l’autre. L’état de Maël nous préoccupe, il est de plus en plus fiévreux et perd sa voix au fur et à mesure de la journée. On le sent au bout de ses forces et à midi nous trouvons enfin un rocher suffisamment haut pour nous permettre de nous abriter du vent et manger sans avaler de la neige. La pause est bienvenue, mais la reprise plus pénible que prévue. La température s’est radoucie et la neige colle de nouveau. Nous progressons pendant une heure en bottant comme jamais. Et c’est donc plus en marchant qu’en glissant que l’on parvient à la cabane d’Autsu.

C'est par où ? Au prochain piquet à droite !
« Botter », pour ceux qui n’ont jamais vécu cette expérience fascinante, signifie marcher avec dix centimètres de neige collée sous ses skis. Impossible dès lors de glisser ; à chaque pas, de la neige supplémentaire s’agglomère. Taper rageusement ses spatules sur le sol devient complètement vain et on s’épuise rapidement. C’est une épreuve d’endurance et de frustration. Non seulement on avance beaucoup moins vite avec une enclume à chaque pied, mais on ralentit même dans les descentes, car au lieu de profiter de l’entraînement de la pulka, on freine sa fougue malgré soi. Les nerfs se tendent et les noms d’oiseaux commencent à fuser. L’énergie dépensée à tenter de racler ses skis en tapant à chaque pas se transforme rapidement en un intense découragement. Deux options s’offrent alors au randonneur excédé : 1/ s’arrêter tous les 10 mètres pour déchausser et racler la neige sur les peaux à l’aide des bâtons 2/ prendre son mal en patience et décider que marcher sur des échasses en chaussures de ski et en tirant une pulka est une activité ludique et enrichissante (pour les cuisses). 

Huskies en goguette
5 cm de talons sous les skis. Fashion Sarek 2016 !
Bref, l’arrivée à la cabane sur les coups de 14h est une délivrance pour tous et le soleil fait même son apparition au moment où nous passons le perron. Enfin, nous allons pouvoir faire sécher toutes nos affaires et nous réchauffer, car il y a un poêle. Et quatre banquettes, pile poêle ! Nous prenons le thé sur le perron de la cabane que nous avons décidé de nous approprié pour la nuit et Luc part en reconnaissance sur nos terres. Il n’y a pas de point d’eau, mais des toilettes douillettes. Quant à moi, je pars vers les bois, la scie à la main, pour bûcheronner et ramener le combustible à la maison. Pendant ce temps, les hommes apprêtent les lieux et décorent l’intérieur de chaussettes suspendues et autres fanfreluches reluisantes. L’extase est cependant de courte durée puisqu’à 17h déboulent 5 Finlandais venus eux aussi passer la soirée ici. Heureusement, comme nous sommes arrivés avant et que nous avons approvisionné la cabane, ils nous laissent le couchage et montent leurs deux tentes à l’arrière. Nous avons alors tout loisir d’observer l’étonnant équipement de nos voisins, qui viennent prendre leur repas à l’intérieur. Deux cuisines toutes équipées surgissent de deux malles en aluminium, et des condiments de toutes sortes (épices, sauces, beurre salé !) apparaissent comme par enchantement sur la table. Je vous laisse imaginer nos têtes et l’emballement de nos papilles. C’est un supplice pour nous, surtout lorsqu’ils sortent une poche remplie de poissons frais, achetés aux pêcheurs du lac qu’ils viennent de traverser. Mais nous restons stoïques en pensant à l’orgie qui nous attend le lendemain soir à Saltoluokta. 

Notre petite maison dans le grand nord
Lumière du soir
Pieds du soir
Cuisine du soir
Finalement, à l’heure où j’écris ces lignes, le cours du dîner a changé. Il est 21h50, mon ventre est tendu et je suis repue. Les Finlandais nous ont offert 4 filets de truite qu’ils ont fait cuire dans une poêle, avec des petits oignons. Inutile de dire que nous nous délectons de ce plat inespéré et que nous n’en laissons pas une miette (même Romain qui n’aime pas le poisson !). Nos compagnons nous apprennent alors qu’ils ont fait la traversée de la partie Nord du Sarek pendant une semaine et qu’ils traînent chacun une pulka de 30 kg (nous n’en avons que deux de 45 kg). A voir leurs moustaches taillées de près et leur équipement de cuisine dernier cri, on imagine qu’ils voyagent grand luxe.

Miam !
Ce soir, une fois n’est pas coutume, nous veillons. Il est 22h quand tout le monde ronfle !


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