Nous ne sommes pas mécontents de
quitter ce camp, où la neige trop meuble nous crée de vives déconvenues. La
tâche si simple d’aller faire ses besoins devient une angoisse quant on
appréhende de se retrouver enseveli jusqu’au nombril à chaque pas… Nous n’avons
qu’une seule paire de raquettes et les skis servent de piquets pour la tente,
donc chaque escapade en dehors de la tente est une prise de risque non
négligeable !
Nous sommes donc heureux de
reprendre notre chemin, mais nous ne le resterons pas longtemps car c’est un
nouveau jour blanc qui nous attend, cette fois pire que les autres. Nous ne
voyons pas à plus de trois piquets sur la Kungsleden et le vent du Nord nous
fouette le visage. C’est la dernière ascension du raid, il y a 150 mètres à
remonter dans le blizzard, en ne pensant à rien d’autre qu’à mettre une spatule
l’une devant l’autre. L’état de Maël nous préoccupe, il est de plus en plus
fiévreux et perd sa voix au fur et à mesure de la journée. On le sent au bout
de ses forces et à midi nous trouvons enfin un rocher suffisamment haut pour
nous permettre de nous abriter du vent et manger sans avaler de la neige. La
pause est bienvenue, mais la reprise plus pénible que prévue. La température
s’est radoucie et la neige colle de nouveau. Nous progressons pendant une heure
en bottant comme jamais. Et c’est donc plus en marchant qu’en glissant que l’on
parvient à la cabane d’Autsu.
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C'est par où ? Au prochain piquet à droite ! |
« Botter », pour ceux
qui n’ont jamais vécu cette expérience fascinante, signifie marcher avec dix
centimètres de neige collée sous ses skis. Impossible dès lors de
glisser ; à chaque pas, de la neige supplémentaire s’agglomère. Taper
rageusement ses spatules sur le sol devient complètement vain et on s’épuise
rapidement. C’est une épreuve d’endurance et de frustration. Non seulement on
avance beaucoup moins vite avec une enclume à chaque pied, mais on ralentit
même dans les descentes, car au lieu de profiter de l’entraînement de la pulka,
on freine sa fougue malgré soi. Les nerfs se tendent et les noms d’oiseaux commencent
à fuser. L’énergie dépensée à tenter de racler ses skis en tapant à chaque pas
se transforme rapidement en un intense découragement. Deux options s’offrent
alors au randonneur excédé : 1/ s’arrêter tous les 10 mètres pour
déchausser et racler la neige sur les peaux à l’aide des bâtons 2/ prendre son
mal en patience et décider que marcher sur des échasses en chaussures de ski et
en tirant une pulka est une activité ludique et enrichissante (pour les
cuisses).
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Huskies en goguette |
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5 cm de talons sous les skis. Fashion Sarek 2016 ! |
Bref, l’arrivée à la cabane sur
les coups de 14h est une délivrance pour tous et le soleil fait même son
apparition au moment où nous passons le perron. Enfin, nous allons pouvoir
faire sécher toutes nos affaires et nous réchauffer, car il y a un poêle. Et
quatre banquettes, pile poêle ! Nous prenons le thé sur le perron de la
cabane que nous avons décidé de nous approprié pour la nuit et Luc part en
reconnaissance sur nos terres. Il n’y a pas de point d’eau, mais des toilettes
douillettes. Quant à moi, je pars vers les bois, la scie à la main, pour
bûcheronner et ramener le combustible à la maison. Pendant ce temps, les hommes
apprêtent les lieux et décorent l’intérieur de chaussettes suspendues et autres
fanfreluches reluisantes. L’extase est cependant de courte durée puisqu’à 17h
déboulent 5 Finlandais venus eux aussi passer la soirée ici. Heureusement, comme
nous sommes arrivés avant et que nous avons approvisionné la cabane, ils nous
laissent le couchage et montent leurs deux tentes à l’arrière. Nous avons alors
tout loisir d’observer l’étonnant équipement de nos voisins, qui viennent
prendre leur repas à l’intérieur. Deux cuisines toutes équipées surgissent de
deux malles en aluminium, et des condiments de toutes sortes (épices, sauces,
beurre salé !) apparaissent comme par enchantement sur la table. Je vous
laisse imaginer nos têtes et l’emballement de nos papilles. C’est un supplice
pour nous, surtout lorsqu’ils sortent une poche remplie de poissons frais,
achetés aux pêcheurs du lac qu’ils viennent de traverser. Mais nous restons
stoïques en pensant à l’orgie qui nous attend le lendemain soir à Saltoluokta.
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Notre petite maison dans le grand nord |
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Lumière du soir |
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Pieds du soir |
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Cuisine du soir |
Finalement, à l’heure où j’écris
ces lignes, le cours du dîner a changé. Il est 21h50, mon ventre est tendu et
je suis repue. Les Finlandais nous ont offert 4 filets de truite qu’ils ont
fait cuire dans une poêle, avec des petits oignons. Inutile de dire que nous
nous délectons de ce plat inespéré et que nous n’en laissons pas une miette
(même Romain qui n’aime pas le poisson !). Nos compagnons nous apprennent
alors qu’ils ont fait la traversée de la partie Nord du Sarek pendant une
semaine et qu’ils traînent chacun une pulka de 30 kg (nous n’en avons que deux
de 45 kg). A voir leurs moustaches taillées de près et leur équipement de
cuisine dernier cri, on imagine qu’ils voyagent grand luxe.
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Miam ! |
Ce soir, une fois n’est pas
coutume, nous veillons. Il est 22h quand tout le monde ronfle !
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